mardi 21 juin 2011

En peu de temps, une politique déjà calibrée...

Par Béatrice Whitaker

En moins d’un semestre, Dilma Roussef, la présidente élue au Brésil, a déjà fait ses preuves en matière de continuité avec l’orientation adoptée par Lula, son prédécesseur, elle l’a même consolidée. Malgré ses promesses d’« éradication de la misère, de la faim… », elle reste toujours plus préoccupée de satisfaire les représentants de la bourgeoisie brésilienne et impérialiste. Une posture bien assumée car elle se charge à tout moment de d’affirmer l’importance du développement des industries, du commerce, des exportations, de la finance… à son avis, les seuls facteurs capables de contribuer à résoudre le chômage et la misère. Elle se maintient donc aucune peur de perdre la popularité dont elle a hérité de Lula, qui arrivait à 80% de satisfaction populaire, selon les sondages les plus sérieux.

Encore inconnue quelques mois avant les élections, sa victoire est due non seulement à la popularité de Lula, mais aussi au champ d’alliances extraordinairement large dans lequel PT s’est engagé. Partis de droite, neo sociaux-démocrates et néo-libéraux ont fait partie d’une alliance créée pour gagner les présidentielles en échange de négociations pour le partage des différents postes stratégiques de l’appareil d’Etat et du gouvernement.

Ce gouvernement se caractérise ainsi par trois axes d’orientation : le premier celui de l’arc de collaboration de classes, représentant 70% du Congrès, ensuite par l’approfondissement de la politique productiviste et consumériste, basée sur le développement capitaliste favorisant ainsi l’accumulation du capital à travers la dévastation des ressources naturelles du pays, le pillage des personnes et des biens. Le troisième par l’élargissement et la consolidation du rôle de sous-impérialisme en Amérique latine. Le cours neo-libéral que la présidente est en train de prendre est notoirement plus accentué que celui de son prédécesseur. Cependant, en deux mois, le gouvernement a réussi à faire passer une série de mesures dont les conséquences ne sont pas encore réellement visibles pour les salariés.

Ces mesures économiques visent à garantir le développement capitaliste. Afin de payer les taux d’intérêt de la dette publique intérieure, Dilma décide faire une économie budgétaire de 30 milliards de dollars en 2011, à l’exemple de Lula au début de son mandat. Cela signifie des coupes sombres dans les dépenses publiques, la réduction du nombre des fonctionnaires, la précarisation des personnels, la réduction des moyens des différents services publics, l’ intensification de la sous-traitance, etc.
Cependant, le nouveau gouvernement trouve le pays dans une situation apparemment paradoxale : au Brésil la dette extérieure publique est « négative », car le pays compte sur des réserves internationales, surtout à partir de dépôts dans des banques étrangères, en valeur, plus importante que la dette publique extérieure. Dans ce sens, il ne s’agit pas de demander le non-paiement de la dette extérieure, mais d’exiger un audit de la dette, la nationalisation des groupes financiers et des Firmes Transnationales qui ont leur siége au Brésil.

Dès le début de l’année, les grandes centrales syndicales ont négocié l’augmentation du SMIC avec le gouvernement et le résultat est loin d’atteindre les promesses de Lula de doubler le SMIC à la fin de son mandat. Ils s’accordent pour une augmentation dérisoire du SMIC, suite à un débat révélateur entre politiciens de la dite gauche et syndicats, demandant 7% d’augmentation et ceux de la droite demandant 17% par pure démagogie, car même avec cette augmentation il ne serait toujours pas suffisant comme salaire. Le 7% d’augmentation a été accordé par les parlementaires, juste après s’être eux-mêmes augmentés de 142% pour leurs postes de représentants des travailleurs ! Dans ce sens, le SMIC continue à garantir les profits de la classe dominante.

Lancé en 2007, le Programme d’ accélération de la croissance (PAC), est la version de l’IIRSA adaptée aux besoins de la bourgeoisie brésilienne  qui réalise des projets pharaoniques dans les domaines de l’énergie, du transport, des communications. Le but est de satisfaire les besoins en électricité des transnationales installées dans les divers territoires, de faciliter le flux des marchandises du nord au sud, de l’est à l’ouest du continent. L’une des plus grandes incitatrices du PAC, Dilma, se prépare à inaugurer 60 ouvrages cette année, à une moyenne de cinq ouvrages par mois, concernant les transports, l’énergie électrique, assainissement, l’huile et gaz.

Ces projets se mettent en place sur les territoires, sans le moindre accord, discussion, et encore moins consultation des indigènes, des paysans, des citoyennes et des citoyens divers qui peuplent les terres concernées. Ceux-ci évidemment s’indignent et s’organisent pour combattre l’appropriation de leurs terres. L’un des principaux projets du PAC, se situe à Jirau, aux marges du fleuve Madeira, Etat de Rondônia, où le puissant groupe Camargo Correa, chargé de construire une usine hydroélectrique, financée par GDF Suez (50,1%) emploie 22 mille travailleurs. Travailleurs et peuples luttent contre les conditions de travail et les salaires impayés. Depuis janvier 2010, Via Campesina, associations et ONGs promeuvent une campagne de solidarité avec ces peuples en lutte en défense de l’environnement. Mais en mars de cette année, suite à une rébellion des travailleurs de l’usine, le gouvernement envoie la police nationale, arrête 30 ouvriers. Suite au conflit, les 22 mille travailleurs sont partis des chantiers, abandonnant les lieux du travail. Ainsi, le gouvernement non seulement privatise les ressources naturelles mais il criminalise les mouvements qui luttent pour des causes légitimes… S’ajoute à cela, le renfort spectaculaire du gouvernement d’1 millions de réais qui sera donnée à l’industrie du sucre et de l’éthanol afin d’innover de 2011 à 2014, permettant ainsi l’exécution des plans d’aide à l’innovation technologique et industrielle de ces secteurs.

Dilma visite l’Argentine pour régler les questions du nucléaire avec la présidente Kirchner en janvier, début mars le président de l’Uruguay vient au Brésil afin d’intensifier les rapports commerciaux. Cependant, la politique internationale de Dilma reste marquée par la visite d’Obama dès le début de l’année et confirme un rapprochement avec le Département d’Etat des Etats Unis. A Brasilia le gouvernement a fait du zèle pour assurer la sécurité d’Obama : 352 voitures, 6 hélicoptères, 5 avions, 3 bateaux… sur un total de plus de 3 mille hommes. Le discours d’Obama, prévu dans les rues, a été annulé pour le remplacer face à un public restreint dans le théâtre municipal de Rio. Le but de son voyage : intérêts en énergie et infrastructures. Les syndicats des étudiants et des pétroliers avaient préparé des manifestations de protestation, leurs dirigeants accusant Obama d’être, comme Bush, un représentant du capital. Le Parti des travailleurs, pièce centrale du gouvernement, a interdit à ses militants de manifester. Le bilan de cette manifestation a été une forte répression à Rio avec 13 personnes arrêtées.

Depuis 1er février, le Brésil assure la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies où il devra assurer les discussions sur Haïti, le Moyen Orient, la Somalie, les sanctions à l’égard de la Corée du Nord… Sur la proposition de la France d’invasion en Libye, le gouvernement brésilien s’est abstenu au Conseil de sécurité. Trop d’enjeux concernant le marché du pétrole cachent les prises de position de l’Allemagne et des « BRIC » (Brésil, Russie, Inde et Chine). Ce qui explique la déclaration de Kadhafi le 15 mars à la télévision allemande, disant que dorénavant son pétrole irait aux russes, chinois, indiens … aux « BRIC ! »

Difficile de savoir l’effet des mesures prises par la présidente sur les travailleurs. La majorité des dirigeants des mouvements sociaux et syndicaux soutiennent la politique du gouvernement, soit parce qu’ils sont d’accord avec sa politique et pensent qu’il n’y a pas d’autres alternatives à l’orientation productiviste, consumériste – en somme, capitaliste –, sans aucune préoccupation écologique, soit parce qu’ils se trouvent jetés dans l’engrenage de la corruption....

Les secteurs en opposition à cette politique sont encore minoritaires, même s’ils représentent quelques millions de travailleurs. L’aspect positif est que ce secteur est en train de construire l’unité du mouvement social et syndical par le biais de ses luttes au sein d’une seule centrale. Il reste l’espoir de la possibilité de convergence entre le mouvement ouvrier, le mouvement paysan, les mouvements pour la préservation de l’environnement, les femmes, les immigrés...

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