mardi 21 juin 2011

Morales et les mouvements sociaux... La fin de la lune de miel ?

Par Hervé do Alto

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en 2005, la conflictualité sociale, autrefois synonyme de résistance aux réformes néolibérales, ne s’est pas atténuée, loin de là . Mais celle-ci connaît une véritable transformation : si bon nombre de conflits trouvaient leur origine dans la confrontation opposant le gouvernement à l’oligarchie de Santa Cruz et la droite en général, ce sont bien, désormais, des mouvements autrefois proches de Morales qui se mobilisent contre lui. Le mouvement en faveur d’une hausse des salaires qui s’est développé au début du mois d’avril, et qui a donné lieu à une forte mobilisation sous l’égide de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB), est un signe de ces changements. Portées principalement par certains syndicats tels que les enseignants et les travailleurs de la santé, ces luttes pour des augmentations de salaires ne sont pas nouvelles. Mais c’était dans une relative marginalité que ces organisations arpentaient habituellement les rues de La Paz ou Cochabamba en défense des services publics.


L’écho positif rencontré par le mouvement lancé par la COB le 6 avril dernier pour une hausse des salaires de 15 % vient montrer que la défiance des secteurs populaires à l’égard de ces syndicalistes, taxés de « radicaux » par le passé, n’est plus de mise : plusieurs organisations sociales telles que les fédérations indigènes (CONAMAQ, CIDOB) ont publiquement apporté leur soutien à la mobilisation. Et si les syndicats paysans restent majoritairement acquis au Mouvement vers le socialisme (MAS), le parti de Morales, le trouble est semé. De manière générale, c’est un véritable courant de sympathie qui a semblé se manifester envers les grévistes de la part de la population. À l’origine de ce tournant se trouve la l’inflation record à laquelle les Boliviens font face – une inflation estimée à 18,5 % pour les denrées de première nécessité.

Pour comprendre cette hausse des prix, il faut remonter au mois de décembre dernier, lorsque le gouvernement annonce vouloir en finir avec la subvention du diesel actuellement en vigueur, via un décret connu comme le gazolinazo. Sous la pression de la rue, la mesure est finalement retirée, mais le secteur agro-industriel, essentiellement concentré à Santa Cruz, en profite tout de même pour spéculer sur les prix des aliments . Opposé dans un premier temps à toute compensation par les salaires, Morales concède finalement, le 18 avril, un « coup de pouce » de 11% au terme d’une âpre négociation avec la COB.

On peut toutefois gager que ce mouvement ne restera pas sans lendemain, d’abord parce que, si les organisations syndicales et sociales peuvent parfois manquer d’une perspective politique d’ensemble, assimilant la conquête du pouvoir par le MAS à une opportunité pour « obtenir sa part du gâteau », la dégradation des conditions de vie en Bolivie est pourtant palpable. Ensuite, parce que sa dénonciation s’adosse à une critique inédite de la politique énergétique du gouvernement : le gazolinazo avait en effet pour but à peine dissimulé de stimuler le secteur des hydrocarbures, alors que les multinationales sont suspectées d’avoir abandonné toute prospection et entraîné de fait une revue à la baisse des réserves de gaz estimées dans le pays . Présenté comme une mesure censée « porter un coup à l’oligarchie de Santa Cruz », le décret constituait en fait un appel du pied à ces firmes en leur offrant un cadre de nouveau favorable à l’investissement, après une nationalisation pourtant modérée, en mai 2006, qui s’est résumée pour l’essentiel à une renégociation des contrats les liant à l’État, illustrée par la formule « queremos socios, no patrones » (« nous voulons des associés, pas des patrons ») chère à Morales.

Il est difficile de savoir si une option plus radicale que cette nationalisation aurait pu être couronnée de succès. Mais si la mesure-phare du premier mandat de Morales a bel et bien permis de garnir significativement les caisses de l’État après vingt années de néolibéralisme débridé, le secteur reste en effet largement sous le contrôle des compagnies étrangères qui ont constitué un frein à toute avancée sérieuse quant à l’industrialisation du gaz, et qui n’ont guère cessé, dans les faits, d’agir en « patrons » en Bolivie. De quoi s’interroger sur la possibilité de mener une politique développementiste en respectant les règles d’un jeu largement défini par des groupes capitalistes et des pays voisins tels le Brésil, qui agissent dans la région comme des impérialismes continentaux. En ce sens, la mobilisation actuelle n’est pas seulement juste : elle pourrait également devenir salutaire si elle parvenait à convaincre Morales d’un nécessaire coup de barre » à gauche.

1. Fundación Milenio, Informe Nacional de Coyuntura, n° 86, 2011.
2. CEDLA, Nota de prensa, 13/04/11.
3. Ibid

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire