lundi 16 novembre 2009

La lutte mapuche dans les revendications des peuples autochtones des Amériques

Directeur de la revue mapuche Azkintuwe, Pedro Cayuqueo est un militant engagé de la cause mapuche, déjà emprisonné en 2005 à Traiguén, au sud du Chili, parce qu’il lutte pour la récupération de terres du peuple mapuche, autrefois volées par les envahisseurs européens.

Quelles sont les revendications particulières de la lutte mapuche et quel est votre positionnement par rapport aux autres luttes des indigènes des Amériques ?

Certaines revendications rejoi-gnent celles de l’ensemble des peuples originaires d’Amérique latine, cependant, notamment au ni-veau politique, notre revendica-tion spécifique est celle de la reconstitution d’une nation, d’un territoire propre.

Nous sommes le deuxième peuple indigène des Amériques par le nombre – presque deux millions répartis dans le Nord de la Pata-gonie chilienne et argentine – et jusqu’à un peu plus d’un siècle nous disposions d’une souveraineté politique et territoriale unique en Amérique latine, maintenue jus-qu’à la fin du 19è siècle à la suite de l’invasion planifiée par les Etats chilien et argentin.

Les autres peuples indigènes d’Amérique latine sont pour la plu-part majoritaires sur leurs territoires. Alors le mouvement indigène dans ces pays concentre sa lutte à refonder des Etats, c’est à dire conquérir du pouvoir politique afin de transformer ces pays, comme c’est le cas en Bolivie avec Evo Morales ou en l’Equateur, où le mouvement indigène a fait tom-ber des gouvernements, ou le cas au Mexique où les Zapatistas disent : « Plus jamais un Mexique sans nous ». Cette situation ne pourra jamais se reproduire au Chili car il n’existe pas de conditions subjectives au sein de la popu-lation pour une proposition indi-gène de changement social et structurel. Et en Argentine, la situa-tion des Mapuches est encore dif-férente vu qu’ils représentent une minorité absolue. D’ailleurs, il y a une réalité historique que l’on ne peut pas nier, nous avons été oc-cupés par deux Etats et la réalité mapuche est diverse au-jourd’hui en Argen-tine et au Chili.

La Bolivie avec Evo Morales repré-sente-t-elle pour vous l’indigène et sa pensée au pouvoir ? S’agit-il d’un modèle que le peuple mapu-che imiter ?

Le processus qui vit actuellement la Bolivie, nous permet de tirer des leçons importantes. L’une d’entre elles consiste à oser proposer une politique électorale avec des propositions qui ne s’adressent pas seulement aux indigènes, mais aussi aux Chiliens qui habitent la région et qui subissent le système néo-libéral.

Un autre enseignement est celui de comment les peuples indigènes en général, quelque soient leurs revendications, sont capables de générer une pensée politique inspirée de sa culture propre. Ainsi comme la Bolivie a fait appel à la sagesse aymara, dont les trois principes consistant à « ne pas voler », « ne pas mentir » et « être constant », afin de bâtir un bon gouvernement ; nous, les Mapu-ches, avons également quatre pri-cipes : Kim che (des gens sages), Nor che (des honnêtes gens), Newen che (des braves gens) et Kume che (des gens bons),des valeurs fondamentales pour faire de la politique.

Par rapport à ton parcours militant, tu diriges depuis quelques années le journal AZKINTUWE, le journa­lisme est-il pour toi un instrument de revendication mapuche ?

Le journalisme est pour moi ce que le cheval est aux Mapuches du 15è siècle : beaucoup parmi eux ne le connaissaient pas et avaient en plus peur de lui, ils se sont vite rendu compte qu’il s’agissait d’un animal domesticable et très utile pour la lutte. Le journalisme est donc pour moi un cheval que je suis en train de dresser. Le rapport du journalisme avec le cheval n’est pas anodin car il était le principal outil de guerre de l’Espagnol et aujourd’hui les médias sont l’outil principal des Etats néo-libéraux et des multinationales, alors cette analogie a un grand sens de nos jours.

Que représente le 12 octobre aujourd’hui dans le cœur d’un Mapuche ?

Cette date n’a pas une grande importance pour nous Mapuches. Cela est très difficile à compren-dre, car le grand problème des Mapuches n’a pas été avec les Espagnols mais avec les Républi-ques. Avec l’Espagne nous avions des traités diplomatiques et un traité d’Assistance militaire, en vigueur surtout au moment de l’Indépendance du Chili car beau-coup de Mapuches ont lutté en faveur de l’Espagne contre les Chiliens.

Le 12 octobre est une date, malheureusement pour le reste des peuples indigènes de l’Amérique latine, triste et je partage la douleur qu’elle dégage , la rage et le sentiment de la fin de cultures et de formes de construction sociale ; mais pour les Mapuches elle ne représente qu’un accident histo-rique, un accident auquel nous avons pu faire face. Nous avions en outre avec les Espagnols un pacte d’échange économique et ils respectaient au même temps nos terres. Au 19è siècle, avant l’invasion argentine et chilienne, le peuple mapuche constituait une société très riche et en plein essor économique et culturel.

Propos recueillis par Bettina Ghio

octobre 2009

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire