lundi 16 novembre 2009

Cardenal, Ernesto : La révolution perdue

Cardenal, Ernesto

La révolution perdue

Paris, l’Harmattan, 2008, 475 p.


Cet ouvrage constitue le troisième tome des mémoires du révolutionnaire, poète et théologien de la libération nicaraguayen Ernesto Cardenal. Un premier regret son prix : 42 euros ! A 30 ans de la victoire, en juillet 1979, de la révolution sandiniste, saluons néanmoins cette parution en français. Nous sommes face à 500 qui brossent l’histoire de cette épopée révolutionnaire et de sa défaite. Une première valeur de cet écrit est de plonger dans les pensées et la vie tumultueuse d’un chrétien engagé, qui a toujours entendu concilier sa foi chrétienne avec son engagement anti-impérialiste et anticapitaliste. On y trouve ainsi les profonds questionnements existentiels d’un tel engagement, souvent déchiré face au destin de la révolution de ce petit pays d’Amérique centrale. Agé aujourd’hui de 83 ans, Cardenal revient sur 40 ans de vie politique, religieuse et littéraire. Son récit remonte pour débuter ce volume à la révolte d’avril 1950 à laquelle il participa contre le dictateur Somoza. Surtout, le poète décrit la longue lutte contre le pouvoir discrétionnaire du clan Somoza, soutenu à bout de bras par l’impérialisme états-unien. Il raconte les conditions de constitution du Frente Sandinista de Liberacion Nacional (FSLN), mouvement nationaliste et guérillero, fondé par Carlos Fonseca et par Tomas Borge en 1961, organisation plusieurs fois démantelée et reconstruite. Les années de lutte armée et de combat idéologique parcourent le livre.

La seconde partie du livre décrit le Nicaragua « libre », « grâce à Dieu et à la révolution », suite à la marche de l’armée du FSLN sur Managua avec l’appui de milices populaires et le renversement du régime somoziste par une grève générale. Un pays en lutte, mais aussi un pays en fête : des « jours difficiles et heureux » qui ne reviendront jamais… Après la chute de la dictature, Cardenal sera nommé ministre de la culture. Il revient également sur l’épisode fameux de la venue du Pape Jean Paul II à Managua en 1983, le « St Père » anti-communiste l’admonestant copieusement devant les caméras du monde entier. Mais si le Nicaragua « s’est bien trouvé lui-même », les nuages s’accumulent rapidement : pillé par les Somoza, sorti exsangue de la révolution, ce petit pays a dû subir dès 1979 l’embargo criminel des États-Unis, puis supporter une virulente contre-révolution armée, financée par la CIA. D’ailleurs, l’auteur développe finalement assez peu cet aspect, pourtant central. On ne trouvera pas non plus dans ce livre un retour (auto)critique sur les limites du sandinisme, ce qui est dommage[1]. En février 1990, le FSLN fait face à sa première grande défaite électorale : le « pire cauchemar » selon l’auteur. Sans tirer un coup de feu, le FSLN livre le gouvernement à la droite, après s’être fait enfermé dans une campagne où l’opposition et la CIA parviennent à installer l’idée que voter sandiniste, c’est voter pour la guerre… La relève est prise alors par trois gouvernements successifs, tous néolibéraux. Dans les dix dernières pages pointe néanmoins une certaine réflexion critique sur la perte de l’appui de la paysannerie, des formes de pouvoir populaire remplacées peu à peu par le verticalisme du FSLN. Il rappelle le goût amer la « piñata » : après la défaite, une partie des dirigeants du FSLN se sont appropriés bâtiments, entreprises, maisons, véhicules, propriétés au nom de la « construction du parti dans l’opposition »… Pour Cardenal, à partir de ce moment : « la révolution a été trahie » par Daniel Ortega et c’est pour cette raison qu’il a démissionné du parti en 1994, « un des premiers ». On connaît la suite : le même Ortega a gagné les élections présidentielles en novembre 2006 après une longue rénovation politique du FSLN dans l’opposition parlementaire[2]. Cardenal lui n’a pas changé d’avis et est resté un critique farouche de "l'orteguisme", bien loin -selon lui- du sandinisme. Fort de ce constat, on comprendra la nostalgie de ce brillant poète révolutionnaire, rebelle jusqu’au bout : « Elle a été belle cette révolution ; nous avons été nombreux à l’aimer et nous sommes encore nombreux à en rester nostalgiques »…

Franck Gaudichaud


[1] A ce propos, on consultera avec intérêt les travaux du sociologue sandiniste Orlando Nuñez, qui parle lui aussi de « révolution perdue » (Orlando Nuñez, La guerra en Nicaragua, Cipres, 1991 et En busca de la Revolución perdida, CIPRES, 1992).

[2] Voir : Hernan Calvo Ospina, « Les quatre temps du sandinisme », Le Monde Diplomatique, juillet 2009.

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