Prenant prétexte du déficit et de l’endettement de l’entreprise, de son « inefficacité », le gouvernement PRI-PAN[1] a brutalement décidé d’accélérer la privatisation du secteur en le livrant aux intérêts privés, essentiellement étrangers et, pour ce faire, de liquider par la force le syndicat des électriciens. En fait, la direction de l’entreprise avait délibérément laissé se creuser les déficits puisque permettant que de nombreuses sociétés nationales et étrangères ne paient plus leurs factures (dont American Express, Comercial Mexicana et bien d’autres). Avec les méthodes habituelles du clientélisme et de la corruption, certains organismes publics faisaient de même, y compris la résidence présidentielle, certains ministères, les municipalités et les Etats fédéraux.
L’opération de liquidation de Luz y Fuerza del Centro avait été soigneusement préparée par le recours à des techniciens d’une autre entreprise publique appelés en renfort ainsi qu’à des entreprises privées « pirates » pour remplacer les électriciens licenciés. Mais faute de moyens et d’ouvriers compétents, de nombreux quartiers, surtout les plus défavorisés, à Mexico et dans l’immense zone qui l’entoure, subissent quotidiennement de longues coupures de courant, suscitant manifestations et barrages de rues et de routes de la part de la population. Le risque d’une panne générale de distribution électrique est désormais envisagé.
Les « ex-travailleurs » de « Luz y Fuerza » ont aussitôt été incités à formaliser la résiliation de leur contrat de travail moyennant une « indemnisation » dépendant des années de présence dans l’entreprise. Pour ceux qui acceptaient de le faire avant mi-novembre, un « bonus » était versé à condition de renoncer à toute forme de recours contre l’Etat. Cette proposition avait évidemment pour but d’opérer d’entrée la division entre ceux qui acceptaient de liquider leur contrat et les autres.
Dans les jours qui ont suivi, devant la brutalité de ce véritable coup de force, sans précédent dans l’histoire récente du Mexique, la mobilisation s’est engagée pour aboutir, le 15 Octobre, à une énorme manifestation à Mexico et dans dix autres Etats du pays (300.000 manifestants à Mexico). De nombreuses autres corporations, notamment les enseignants se sont jointes au mouvement.
Le coup de force contre les électriciens doit être resitué dans un contexte de crise sociale et politique sans précédent. Le Mexique est aujourd’hui ravagé par la crise, avec des centaines de milliers d’ouvriers licenciés, notamment dans le secteur des « maquiladoras » (usines étrangères, surtout américaines, implantées dans le pays pour bénéficier des bas coûts de la main d’œuvre). Le Mexique, très dépendant des Etats-Unis pour ses exportations subit, ainsi, en l’amplifiant, la crise américaine. A cela, il faut ajouter la baisse importante des « remesas », contributions envoyées par les émigrés à leurs familles, elles aussi premières victimes de l’explosion du chômage américain. Ces « remesas » constituaient, après le pétrole, la plus importante source de devises pour le pays.
Au Mexique, selon les chiffres officiels, le chômage équivaudrait à 7% de la population économiquement active. Mais ce chiffre n’a guère de signification quand on sait que le seul travail informel, travail de survie non recensé, concerne plus de 20% de la population. La dégradation de la situation sociale se mesure par l’aggravation considérable de la pauvreté. Entre 2006 et 2008, plus de deux millions de mexicains sont tombés dans l’extrême pauvreté. Les pauvres au sens large concernaient déjà en 2008 plus de la moitié des 107 millions de mexicains. La hausse des prix et les baisses imposées sur les salaires réduisent chaque jour le pouvoir d’achat des salariés mais aussi de ceux qui ont obtenu le droit de percevoir les maigres « aides sociales »[2] .
Malgré cela, le gouvernement Calderon vient d’imposer au Parlement, à l’issue de débats houleux, l’adoption d’un « paquete fiscal » : hausse de l’impôt sur le revenu, hausse de l’impôt sur la valeur ajoutée et nouvelles taxes sur les services, notamment le téléphone. Il s’agit là surtout de ponctionner un peu plus les restes d’une classe moyenne déjà fortement paupérisée car les plus hauts revenus, les entreprises, les commerces et les banques ne paient pratiquement pas d’impôts.
Au Mexique, la lutte engagée par les 44 000 électriciens de « Luz y Fuerza » a radicalisé l’ensemble du mouvement social. Le total discrédit politique du gouvernement Calderon, son incapacité à combattre les trafics et les exactions sanglantes des cartels de la drogue souvent liés à la police et aux politiciens locaux ont généré un énorme mécontentement dans la population et ouvert la voie à une multitude d’actions populaires et de grèves jusqu’à présent restées isolées. Mais maintenant, en dépit des efforts de certains responsables syndicaux et politiques, plus soucieux de la poursuite du « dialogue » avec le pouvoir que de la réintégration des 44 000 licenciés de « Luz y Fuerza », l’affrontement avec l’Etat devient inévitable. Sont concernés tous les secteurs en crise : les entreprises privées en grève ou occupées, les travailleurs de l’éducation revendiquant 20% d’augmentation de leurs salaires, les employés des organismes privatisés d’assurance sociale, ceux des hôpitaux mais aussi les organisations paysannes et indigènes confrontées à l’effondrement des prix agricoles et à la sécheresse.
La question à l’ordre du jour est désormais celle de la centralisation de tous ces mouvements. Une étape en ce sens a été réalisée le samedi 24 Octobre à Mexico : des délégués de centaines d’organisations sociales, venus de tout le pays, ont participé à une « Assemblée Nationale de résistance populaire » et décidé de soutenir la lutte du Syndicat des Electriciens, tout en faisant valoir leurs propres revendications. Malgré l’urgence de la situation (les 44.000 licenciés privés de salaire depuis trois semaines) et les cris répétés par la masse des participants : huelga ! huelga ! (grève ! grève !), les dirigeants du Syndicat des électriciens ont reporté à début Novembre, la décision d’une grève nationale contre le décret de liquidation de « Luz y Fuerza » et contre le « paquete fiscal ».
Au Mexique, la provocation du gouvernement contre « Luz y Fuerza » ouvre une nouvelle étape de la mobilisation populaire. La combativité et la conscience des travailleurs n’est pas en cause mais, là comme ailleurs, il leur faudra pour aboutir, contrôler et décider les formes de leur mouvement. De fait, la défense des droits élémentaires du salariat, de la paysannerie, des chômeurs et des pauvres pose aujourd’hui la question politique du gouvernement Calderon, gouvernement brutal, cynique et corrompu, à la solde de multinationales avides de profit. C’est l’organisation même de la société qui est en cause. Le capitalisme a fait son temps. Dès à présent, dans l’action, doivent être envisagées et construites les formes d’une organisation socialiste de la société[3].
Robert ROLLINAT*
Mexico, 26 Octobre 2009
[1] PRI (Partido Revolucionario Institucional) et PAN (Partido de Aciòn Nacional) forment la coalition de droite qui gouverne actuellement le pays sous la Présidence du « paniste » Felipe Calderòn. Le PRD (Partido de la Revoluciòn Democratica), principal parti d’opposition, pourrait être considéré de « centre gauche » mais il regroupe en son sein la plupart des courants « radicaux ». Une forte opposition conteste actuellement la ligne social-démocrate opportuniste suivie par Lopez Obrador, son Président.
La vie politique et syndicale reste marquée par le corporatisme « à la mexicaine » longtemps incarné par le PRI. Les syndicats servent souvent de base arrière et de relais aux partis politiques, notamment lors des campagnes électorales. Ce clientélisme se traduit souvent par la corruption des dirigeants et le bureaucratisme interne (charrismo). Cependant, sous la pression de la base, un mouvement de fond pour augmenter et développer des syndicats indépendants et démocratiques est en cours. Mais tout syndicat nouveau doit encore recevoir « l’agrément » du Secrétariat du Travail.
[2] Ainsi « Programa Oportunidades », système d’aide aux familles les plus pauvres avec enfants (environ 70 euros mensuels) et l’ allocation « vieillesse » aux plus de 70 ans (37 euros). Au Mexique, le salaire minimum mensuel légal est actuellement d’environ 1500 pesos (83 euros).
[3] Sources : les quotidiens « La Jornada », « El Financiero », « El Universal », la revue « Proceso », n°179, 11 octobre 2009. Pour leurs patientes explications sur l’état actuel des partis politiques et des syndicats au Mexique, un grand merci à Max Ortega Aguirre, Ana Alicia Solis, Abelardo Mariña Flores, organisateurs du colloque international « Socialismo, capitalismo y movimientos sociales », Universidad Autonoma Metropolitana, 19-22 octobre, Mexico.
* Robert Rollinat est économiste et milite au NPA.
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