Par Pablo Chambi
Lors des dernières élections qui ont eu lieu au Pérou le 10 avril dernier, seulement 5 candidats avaient la possibilité de passer au deuxième tour, à condition que personne n’atteigne un score supérieur à 50%.
Ollanta Humala (Gana Péru) avec 31,7 % et Keiko Fujimori (Fuerza 2011) avec 23,5 % ont réussi à passer au deuxième tour.Humala représentait la gauche tandis que les 4 autres candidats représentaient la droite (Fujimori, Kuczynsky, Toledo et Castañeda). Les candidats de droite prônaient le maintien de la constitution de 1993, notamment la poursuite du modèle basé sur l’exportation de matières premières. Keiko Fujimori, est fille de japonais. Kuczynsky, appelé le « gringo », car il parle l’Espagnol avec un accent américain, est un ex-fonctionnaire international ; alors qu’il était ministre de l’économie dans le gouvernement de Toledo, il a offert l’exploitation du gaz aux transnationales. Toledo, surnommé le « cholo » mais avec un cœur et une âme “de gringo”, a voyagé très jeune aux USA avec le Corps de Paix et a été formé dans des universités américaines.
Le front politique dirigé par Humala (Gana Pérou), qui s’autoproclame nationaliste, rassemble des groupements et des personnalités de la gauche des années 70-80 qui ont viré au réformisme ou qui se sont reconvertis à la social-démocratie.
Patria Roja, la plus importante des autres organisations de gauche, est la seule qui soit parvenue à s’inscrire sur les listes électorales, mais elle ne fait pas partie du front de Humala. Le problème a surgi parce que, forte de son inscription, Patria Roja a voulu négocier un pourcentage élevé des candidatures au congrès, ce que le leader de Gana Perú a refusé ; alors elle a cherché à s’allier avec une autre organisation, Fuerza Social, mais cette alliance n’a tenu qu’une semaine. Patria Roja s’est alors retrouvée seule et a tout perdu.
Au premier tour, officiellement la consigne de Patria Roja était l’abstention, mais il semble qu’elle a appelé à voter pour Toledo, alors que sa base a voté pour Humala. Pour ne pas rester isolée, cette organisation changé de position de façon significative en appelant à voter pour Humala au deuxième tour.
Les courants du marxisme révolutionnaire se trouvent affaiblis, ils ne font pas partie du front bien qu’ils aient appelé à voter pour Ollanta au premier comme au deuxième tour. “Nous participons en accompagnant le peuple dans l’illusion qu’il a en Ollanta. Le peuple doit faire sa propre expérience, il n’apprend jamais par les leçons théoriques ou politiques mais seulement dans la pratique, à travers ses expériences quotidiennes”.
Le Movadef, entité mise en avant par le Sentier Lumineux, a essayé de s’inscrire sur les listes électorales, mais n’a pas réussi. Son discours politique est construit uniquement sur le thème de l’amnistie générale des civils, des policiers et des militaires afin de parvenir à la réconciliation nationale. Parmi ces civils il y a son chef suprême, Abimael Guzmán. Cette organisation insiste sur son identification au marxisme - léninisme-maoïsme, « pensamiento Gonzalo , et ne se prononce pour aucun candidat.
Dès les années quatre-vingt-dix, le Pérou a connu une forte dépolitisation, et, à ce jour, cette tendance ne s’est pas inversée. Le taux de syndicalisation dans les années 70-80 atteignait 60%, il est tombé à 4,5% en 2009. Depuis les années 90, la part des salaires dans le revenu national a chuté : de 40 % dans les années 70, elle est passée à 25 % aujourd’hui. La constitution de 1993 a contribué à une reprise de l’économie accompagnée d’une forte détérioration du niveau des salaires. La brèche entre riches et pauvres a augmenté, cela se traduit par un grand malaise dans la population.
Humala se déclare contre le néolibéralisme, mais, précise-il, cela ne conduit pas à rejeter le marché ou à se rapprocher de l’étatisme mis en œuvre par le gouvernement de Velasco Alvarado dans les années 70. Il parle d’un nouveau projet national dénommé « l’Économie Nationale de Marché » dont la caractéristique essentielle réside dans l’expansion du marché intérieur et l’augmentation de la demande interne. Il considère que les populations des zones reculées du pays (les hauts plateaux et la forêt) ont été oubliés ; et le marché doit arriver jusqu’à elles.
Cela conduit également à la formation et la consolidation d’un entrepreneuriat national. Humala considère que le néolibéralisme ne prend pas en compte le développement du marché intérieur. Tout est dirigé vers l’extérieur. Il y a donc nécessité de nationaliser (ce qui ne signifie pas forcément intervention de l’État) l’économie et les activités stratégiques pour les mettre au service de l’intérêt national.
Les nationalistes affirment que le néolibéralisme implique la « dénationalisation », parce qu’il ne considère pas le développement du marché intérieur, parce qu’il privilégie les investissements dans l’activité primaire exportatrice qui vend sur le marché extérieur, au lieu d’impulser la croissance de la demande intérieure. Il vend sur les marchés étrangers, plutôt que de promouvoir la croissance de la demande interne parallèlement à une augmentation diversifiée de l’offre productive. En conséquence, pour Humala il y a nécessité de nationaliser l’économie.
Humala avait proposé la révision de la constitution de 1993; l’augmentation de l’impôt des entreprises transnationales qui extraient les ressources naturelles; l’augmentation des impôts des entreprises nationales; une plus grande dotation des fonds de l’Etat afin de lutter contre la pauvreté; la non reconnaissance des traités de libre-échange et des contrats nuisibles à l’économie nationale. Ces derniers jours, Humala propose de modifier son programme de gouvernement pour s’attirer les secteurs de l’ex-candidat Toledo et les indépendants. Il affirme qu’il ne touchera pas à la constitution de 93, ni aux contrats signés par les gouvernements précédents.
Keiko Fujimori et son entourage continuent de prôner le maintien du modèle appliqué depuis près de 20 ans, afin que la bourgeoisie nationale et l’impérialisme aient le champ libre pour continuer à spolier nos richesses naturelles et à imposer des salaires de misère. Ils menacent d’approfondir le modèle néolibéral et de poursuivre les massacres contre les manifestations. Actuellement, on constate une augmentation du racisme ainsi que l’apparition de tendances ouvertement fascistes. Les entreprises minières et financières commencent à parrainer des campagnes médiatiques fomentant la psychose à l’encontre d’Humala, des campagnes de terreur qui accusent Humala d’être en collusion avec Chavez, de vouloir transformer le Pérou en un autre Venezuela ou Cuba, de vouloir exproprier les petits épargnants et les fonds des retraites, les petits commerçants, etc...
Les secteurs les plus conservateurs de l’église appellent à voter pour Keiko Fujimori. Le candidat à la vice-présidence de l’équipe de Keiko, Rafael Rey, est un membre éminent de l’Opus Dei. Le cardinal Juan Cipriani appartient aussi à cette congrégation. Les magnats de la télévision commencent à licencier les journalistes qui n’attaquent pas Humala.
Profitant de la misère, Keiko poursuit sa politique d’assistance envers les secteurs les plus pauvres et démunis de la population. Elle compte gagner des voix en distribuant gratuitement des produits de première nécessité comme riz, huile, lait, etc. Une vieille méthode utilisée par son père et qui marche très bien actuellement. Pour exemple, dans un quartier populaire de Lima, Villa le Salvador, autrefois bastion de la gauche, Keiko a réussi à arriver en tête du scrutin, suivi de Humala.
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