General Mosconi, est située à 1800 kilomètres de Buenos Aires, au Nord de la Province de Salta, près de la frontière bolivienne. La région est la première productrice de Gaz et de pétrole de la Province de Salta et la deuxième d’Argentine. Cette ville de 20.000 habitants est au cœur des luttes des chômeurs (piqueteros) (5.000 sur les 8.000 travailleurs de la ville) depuis la privatisation d’YPF en 1992 au profit du groupe espagnol Repsol. Le Maire élu aux dernières élections avec un très fort taux d’abstention et de fortes suspicions de fraude électorale est membre du parti rénovateur, proche des militaires. Malgré un budget municipal largement alimenté par les entreprises pétrolières, 75 % des logements ne sont pas connectés au gaz naturel et 50 % n’ont ni fosse septique, ni raccordement au tout à l’égout. Des maladies mortelles comme la fièvre typhoïde, les cancers des appareils digestifs et les malformations congénitales se sont beaucoup développés depuis la privatisation d’YPF. La drogue et l’alcoolisme sont très présents. Le Maire a fait des appels à la population pour qu’elle engage des affrontements avec les piqueteros sur les barrages routiers, alors qu’aucune décision de justice ordonnant une expulsion n’avait été prise.
Quand les travailleurs licenciés d’YPF sont arrivés en fin de droit en 1996, la situation sociale et politique s’est très vite dégradée, la reconversion des travailleurs en commerçants ou en petits fournisseurs de services aux compagnies pétrolières a échoué. En 1997, les affrontements entre les habitants et la gendarmerie ont opposé plusieurs milliers de protagonistes de chaque côté. Ces évènements ont été qualifiés de « pueblada », révolte populaire massive. La résistance victorieuse a permis d’arracher des allocations pour les chômeurs et de mettre fin aux coupures d’électricité pour non payement des factures.
En avril 1996, l’Unión de los Trabajadores Desocupados (UTD) General Mosconi, a été créée. Sa première action a été l’occupation du Conseil municipal pendant 23 jours. Elle a obtenu les premiers Plans d’allocations mensuelles pour les chômeurs en fin de droit et des sacs de nourriture.
Après le second grand barrage de route, en décembre 1999, l’UTD General Mosconi a reçu les premières allocations administrées directement par l’organisation sans passer par la tutelle de la Municipalité qui distribuait les aides dans une logique de clientélisme. Ils refusent l’institutionnalisation de leur mouvement, la gestion des productions en coopératives, les assemblées générales consommatrices de temps et génératrices de conflits. Ils s’appuient sur une fondation qui reçoit les financements correspondant aux allocations de l’état pour leurs membres et aux facturations de leurs productions. Pour certains projets comme les constructions de pavillons, les travaux sont gérés par 20 coopératives regroupant 320 travailleurs. Face à la défaillance des politiques publiques et dans le contexte très hostile des autorités locales corrompues et réactionnaires avec des relents colonialistes et nostalgiques des dictatures militaires, le mouvement est multiforme : à la fois syndicat, comité de lutte, municipalité alternative, ONG, centre social, bâtisseur, structure de travaux publics, producteur, agriculteur. En 2000 les écoles de la ville ont été refaites pendant les vacances d’été. Le Centre Communautaire d’éducation technologique Universitaire pour le développement durable a été créé et appelé JU.VE.GO.SA.BA. pour les cinq tués par la répression à General Mosconi: Justiniano, Verón, Goméz, Santillán, Barrios.
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Les autres réalisations de l’UTD :
- Construction d’un quartier de 160 pavillons sur des terres concédées par le gouvernement suite aux luttes
- Construction de canaux
- Construction de routes avec des normes de qualité et à des coûts inférieurs à celui des entreprises contractualisées habituellement par la Municipalité en dehors de toute transparence
- Ramassage des fûts après l’abattage des arbres centenaires dans le cadre du déboisement des terres destinées à la culture du soja transgénique, avec un camion arraché aux entreprises pétrolières suite à des blocages de routes.
- Fabrication de meubles, portes et fenêtres en bois dur venant du ramassage avec des machines outils « récupérées »
- Atelier de mécanique, soudure et métallurgie pour la construction de charpentes métalliques. Aussi centre de formation pour les jeunes, dont certains sont toxicomanes
- Pépinière de centaines de plants d’arbres autochtones pour le reboisement installée dans des tours pétrolières métalliques couchées à l’horizontal
- Maraîchers communautaires, vergers avec Goyaves, papayes, mangues et élevages de porcs
- Atelier de couture avec une vingtaine de machines à coudre
- Récupération de bouteilles plastiques et compression pour recyclage avec une machine arrachée à une entreprise pétrolière
Dans la région, la population indigène est majoritairement Wichi et vit dans des conditions très difficiles. Elle est régulièrement chassée de ses terres par l’extension des monocultures. L’UTD a établi des liens de coopération avec ces communautés en se fournissant chez eux en briques pour les constructions. A leur demande, l’UTD a construit une dizaine de logements avec des charpentes métalliques et un système de récupération des eaux de pluie. La combativité, l’énergie, la mobilisation et les résultats de l’UTD sont impressionnants. Mais elle est menacée par le harcèlement des autorités locales et par le refus d’octroyer des commandes de travaux pour favoriser les entreprises « amies ». Elle participe aux rencontres nationales des entreprises récupérées mais les tentatives de coopération pour écouler leurs productions de portes et fenêtres avec les autres entreprises du bâtiment n’ont pas encore abouti. Leur refus de la participation des partis politiques dans leur fonctionnement a distendu les rapports avec la gauche radicale. L’UTD ne fait plus une priorité, comme d’autres mouvements piqueteros non proches du gouvernement, de la lutte pour l’obtention des allocations « plan Trabajar » distribuées par le gouvernement pour favoriser le développement des structures de production par les chômeurs. L’UTD considère avoir passé une étape dans l’organisation des productions collectives. Sa priorité s’est centrée autour de l’attribution des travaux de marché public et sur la reconnaissance de ses activités par les autorités locales.
Pierre Grenet
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