samedi 6 mars 2010
La lutte contre les milicias en défense des droits humains au Brésil
Entretien avec Marcelo Freixo, député du PSOL de l’État de Rio de Janeiro, président de la commission parlementaire d’enquête sur les activités des milicias dans les favelas de Rio et avec Vinicius Jorge, commissaire de police et membre de la même commission.
Votre lutte est centrée contre les milicias. Que sont-elles exactement et depuis quand possèdent-elles autant de pouvoir dans les quartiers défavorisés à Rio de Janeiro?
Marcelo Freixo : Les milicias sont essentiellement des structures maffieuses constituées de groupes de policiers en activité, mêlant des agents de la police civile, de la police militaire, du corps des pompiers et des agents pénitentiaires. Ces groupes dominent en particulier les quartiers les plus pauvres et ceux à la périphérie du centre ville - plus de 200 sont aujourd’hui aujourd'hui sous leur contrôle à Rio. Les milicias existent depuis 2001 principalement dans l'Etat de Rio de Janeiro. Mais si rien n'est fait, elles pourraient s'étendre rapidement à tout le Brésil, car leur existence répond à des caractéristiques qui sont propres à tout le Brésil: la corruption politique et policière, une très grande fragilité du processus politique et démocratique.
Elles ont la main mise sur différentes activités économiques dans ces quartiers qui vont du contrôle du service public à la taxation directe des habitants et des commerces au prétexte de garantir la sécurité, amassant ainsi un profit impressionnant. Par exemple, à la suite d'une enquête que nous avons menée, nous avons constaté que l'un de ces groupes est arrivé à récolter jusqu’à 1,5 millions d'euros par mois dans un seul quartier de Rio.
Comment ce phénomène a-t-il pu surgir ?
Vinicius Jorge : Il est le résultat d'un rapport particulier entre la police, l'Etat et la société. Ces policiers, pompiers, etc. qui sont aujourd'hui devenus des milicianos, il y a une dizaine d'années, étaient déjà extrêmement violents et corrompus. Ils étaient pour ainsi dire les employés des hommes politiques qui contrôlaient alors ces secteurs. Ils levaient des fonds parallèles pour les campagnes électorales et assuraient le contrôle coercitif de cette manne électorale. Pour réaliser ces missions, ils volaient, tuaient et étaient tués, etc. Puis, ils se sont dits que s’ils étaient capables de faire tout cela pour assurer à un homme politique le contrôle sur un territoire, ils pouvaient le faire pour leur propre compte. Plus tard, ils ont réalisé qu’ils pouvaient également devenir des candidats politiques et c'est ainsi qu'ils sont entrés au Parlement à partir de 2004. On compte aujourd'hui parmi des veroadors, des députés, des préfets et des sénateurs. Pire encore, durant une bonne partie de cette période, de 2003 à 2007, à Rio tout cela se faisait au grand jour et les secteurs dominants, la classe moyenne, la presse et même certains secteurs plus populaires disculpaient ces milicias, en disant qu'elles étaient un mal mineur par rapport au trafic de drogues.
MF : Il existe ainsi un discours construit, moral, de l'ordre où il n’est fait aucune différence entre le discours du policier et celui du miliciano. Comme il est un policier, il jouit de reconnaissance au sein de la société. Cela explique que la classe politique tente de légitimer plutôt que d'affronter ces milicias. D’ailleurs, les secteurs qui forment et contrôlent l'opinion publique ont aidé considérablement à les asseoir dans ces zones. L'ancien maire de la ville de Rio de Janeiro, par exemple, a publiquement déclaré les milicias comme un instrument légitime « d'autodéfense des communautés ».
Vous êtes engagés dans une Commission d’Enquête Parlementaire depuis 2008 pour lutter contre ces milicias. En quoi consiste exactement le travail au sein de cette commission?
MF : Notre travail consiste surtout à montrer et dénoncer le fonctionnement des milicias, le nombre de morts qu’elles provoquent et l’étendue de leur pouvoir illicite. Comme leur violence est blanchie par l’Etat, il s’agit un phénomène très pervers, car ce n’est pas seulement la violence armée mais aussi l’infiltration dans la vie politique qui enracinent ces mafias. Alors, le travail de la commission est précisément de lutter contre cette corruption. Aujourd'hui, le contexte devient favorable car il y a une volonté généralisée d'affronter les milices. Un certain nombre de leurs leaders ont été emprisonnés, mais leurs bras économiques n'ont pas été coupés et donc leurs capacités de croissance politique dans le système de représentation politique directe non plus.
VJ : Pour cela, il est fondamental de s'attaquer aux activités économiques exploitées par les milicias et de détruire leurs appuis politiques. Dans cette optique, nous avons fixé différents objectifs : 58 propositions qui exigent de l’Etat de reprendre ses obligations. En réalité nous n'inventons rien, nous exigeons qu’il fasse ce qu’il devrait faire.
MF : Il faut donc une décision politique de l'Etat et pour cela un regard international est nécessaire, car la mafia n'existe pas seulement à Rio ou au Brésil. Il faut que cela concerne également la Communauté Européenne, car ici les droits de l'homme et la démocratie sont en danger. Aujourd'hui ces mafias sont à Rio, mais elles commencent à se développer dans l’ensemble du pays et demain des connexions avec les mafias européennes seront établies…
Vous êtes menacés de mort à cause de vos activités contre les milicias. Comment avez-vous pris la décision d’entamer cette lutte vu les risques que cela implique ?
MF : Tout cela n’est pas naturel. Ce n'est pas naturel d'être confrontés à cette mafia, d'avoir une police violente, corrompue qui tue 3 personnes par jour, d'avoir un nombre absurde d'homicides (50 000 homicides par an), pourtant tout cela peut être vécu comme normal ! Or, si nous sommes au Parlement, c'est pour affronter tout cela, ou alors mieux vaut ne pas y être. Nous pourrions chercher une autre voie, mais si nous avons choisi la lutte politique c’est pour nous attaquer à ce qui atteint le plus la population. Nous n'avons pas le moindre droit de nous poser la question s’il faut ou non affronter la mafia. C'est donc notre obligation, même s'il y a des risques. Travailler pour garantir les droits de l'homme à Rio, être un policier honnête qui n'est pas impliqué dans la corruption, cela est toujours risqué.
VJ : Nous savions exactement où nous mettions les pieds, alors des menaces de mort étaient absolument prévisibles. Nous embarquer dans cette lutte était pourtant nécessaire, car c’est bien notre obligation: je suis policier, Marcelo député, et la population se fait tuer. On nous dit souvent que cela est très courageux de notre part. Mais ce n’est pas le cas, car je crois que c’est sûrement la peur qui nous pousse dans cet engagement : la peur de ce qui peut arriver à l’avenir si l’on laisse ces mafias de développer.
Propos recueillis par Bettina Ghio et Naima Di Piero / entretien à lire en version longue sur www.contretemps.eu
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