mardi 15 juin 2010

Argentine/Brésil. Transformations du travail et recompositions syndicales

Par Pierre Grenet

Ces dernières années, l’Amérique Latine a su faire émerger de nouvelles pratiques collectives dans le cadre de luttes exemplaires contre les aménagements du capitalisme. En Argentine et dans une certaine mesure au Brésil, s’est développé un mouvement ouvrier (syndical) et populaire (paysan, étudiant, chômeur-piquetero, de quartier) INDEPENDANT de l’Etat avec des revendications immédiates et anticapitalistes. 


En Argentine, on peut fixer une date d’affirmation de ce mouvement autour de l’Argentinazo, la rébellion populaire de 2001. Depuis, le gouvernement des Kirchner, nationalisme combiné au péronisme, n’a pas réussi à étouffer, coopter, corrompre ces acteurs malgré tous ses efforts. Dans ce mouvement, les partis « d’extrême gauche », trotskyste, maoïste et autres jouent un rôle important de structuration (d’autres diraient un rôle dirigeant). Mais un courant autonomiste, autogestionnaire considère que ce mouvement doit s’organiser autour du travail, de la production, des quartiers populaires en se tenant à distance des questions politiques et électoralistes. 

Aujourd’hui, on évalue à 500 le nombre d’entreprises sous gestion ouvrier en Argentine, regroupant environ 16.000 salariés. Ces entreprises sont issues de  situations de faillite suite à des pillages financiers organisés par les anciens patrons dans des secteurs très variés : Zanon (céramique), Bauen (Hotel), Brukman (Textile), Grisinopoli (alimentaire), Frigocarne  (Abattoir), Crystal San Justo (Accessoires automobiles), Clinica Junin (Santé), Astillero Navales Unidos (Chantier Naval), Chilavert (Imprimerie). 

Leurs salariés ont fait la preuve  comme à Zanon qu’ils pouvaient fonctionner depuis sept ans sans patron en réintégrant tous les travailleurs qui avaient perdu leur emploi (500), en ayant une intense activité solidaire avec les communautés locales et en étant soutenu par la  population de la région dans toutes les tentatives de déstabilisation des gouvernements locaux ou nationaux. D’autres sont créées exnihilo par des chômeurs, comme les entreprises de recyclage des cartoneros de la Province de Buenos Aires et les coopératives de bâtiment de l’UTD General Mosconi. 

Toutes ces entreprises sont menacées par les lenteurs administratives entretenues par les gouvernements pour retarder les expropriations des anciens patrons, les tentatives d’expulsion sur instructions judicaires, le manque de capitaux pour entretenir les équipements et investir. Les ouvriers de Zanon en Avril 2010 ont lancé un cri d’alarme sur leur situation. Alors qu’ils demandaient une étatisation sous contrôle ouvrier, le gouvernement leur cède la propriété de l’usine avec la charge de la dette. Ils souffrent des réductions des ventes dues à la crise économique, et ils dénoncent leur exclusion des marchés publics pour les commandes de céramiques et des aides gouvernementales pour les investissements alors qu’elles sont largement attribuées au secteur privé. Les fédérations d’entreprises récupérées tentent de créer des organisations capables de peser dans les luttes politiques à venir et les conditions d’un marché parallèle d’échanges entre leurs centres de production. Les coursiers, motoqueros qui ont joué un rôle très important lors des rébellions populaires (Argentinazo) en 2001 en informant, grâce à leur mobilité les  manifestants sur les mouvements des forces de l’ordre sont à la pointe du combat contre la précarité.

Les agences qui dominent le marché sont souvent entre les mains d’anciens policiers qui exploitent à fond la misère sociale et la demande de travail issu du chômage massif. Ils soumettent beaucoup de coursiers à accepter du travail au noir. La création du statut «Monotributo», l’équivalent de celui d’auto-entrepreneur a entraîné plus de 1 million
de salariés argentins dans la précarité.

C’est l’alternative pour les employeurs au travail au noir et le moyen d’isoler les travailleurs par rapport au collectif des salariés. Les motoqueros ont subi cette pression et certains ont adopté ce statut qui leur donne des droits sociaux très limités, aucune garantie d’emploi, droits restreints pour la retraite, etc… La création de coopératives motoqueros a au contraire permis de pérenniser des emplois et de récupérer des statuts de salariés.

Mais elles ont du faire face au boycott des entreprises clientes et une seule a réussi à maintenir son activité. Le risque politique autour des coopératives en précarité dans un système de concurrence et de marché, comme dans le cas des Monotributos, est  d’encourager l’auto exploitation des travailleurs. Le patronat peut avoir intérêt à céder des secteurs de production à des structures qui contiennent les revendications salariales. 

David Cameron en Angleterre vient de prôner la création de coopératives dans le cadre de la
campagne électorale. Pourtant ces pratiques font la démonstration que le mode de production collectif sous contrôle ouvrier est crédible, mais que la pérennité de ces structures passe par un projet global de société. La transformation révolutionnaire de l’Etat, la remise en cause du marché et la planification démocratique sous contrôle de la population peuvent seules s’articuler avec des expériences isolées. Par ailleurs, des recompositions syndicales importantes sont en cours. Déjà dans les années soixante dix, les luttes visaient à installer des directions révolutionnaires dans les syndicats pour chasser les bureaucraties alliées du pouvoir et on ne dit pas assez que les années de répression de la dictature ont stoppé provisoirement ce mouvement. 

Des luttes ouvrières victorieuses ces derniers mois ont été acquises contre les bureaucraties syndicales, comme dans le métro de Buenos Aires, à Kraft Terrabusi, Mahle, Massuh,  Parana Metal, Cive, Ingenio El Tabacal, Petroleros de Santa Cruz. 

Au Brésil, en réaction à la faillite du projet de syndicalisme «de gauche» combatif,  indépendant, classiste et anti-impérialiste, entamé par la CUT à la fin des années 70, les 3 et 4 juin se tiendra le congrès de Conlutas, une organisation syndicale et populaire fondée en 2004, de laquelle participent quelques 400 organisations : des syndicats, des groupes d'opposition dans des syndicats, des mouvements populaires, estudiantines et de lutte contre l'oppression. Dans ce Congrès sera à l'ordre du jour une unification avec l'Intersyndicale, une organisation qui rassemble en son sein d'autres secteurs de la gauche syndicale brésilienne, ainsi qu'avec d'autres organisations telles que Pastorale Ouvrière, le MTST (Mouvement des Travailleurs Sans Toit), le MTL (Mouvement Terre et Liberté) et le MAS (Mouvement Avancé et Syndical). Une délégation du NPA participera à ces congrès, un compte rendu sera fait.


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